C.L.A.S.

Centre Liégeois d'Activités Subaquatiques

✨ PREHISTOIRE DE LA GOMBE

DE -370 MILLIONS D'ANNEES A NOS JOURS 

J.Thorez, Chaire de Géologie générale, Sédimentologie des silicoclastiques et Géologie des argiles, Université de Liège

Le thème de la conférence présentée aux membres du C.L.A.S. comprend deux parties distinctes mais enchaînées. La première partie s'adresse à la paléogéographie, aux paysages qui ontexisté il y a -370 millions d'années (ou Ma) pendant 10 Ma sur le site de La Gombe (Montfort)au point de vue de la nature (composition) et des modes d'accumulation ainsi que de préservation(fossilisation) des roches gréseuses; celles-ci forment actuellement la paroi nord de l'ancienne carrière par-dessus ou sous le niveau actuel du "lac". L'étude des caractéristiques des roches sédimentaires en affleurement à La Gombe comme dans d'autres carrières de grès de la région de l'Ourthe conduit à une reconstitution paléngéographique qui trouve ses différents modèles dans la nature actuelle ("le présent est la clé du passé"). La seconde partie de la conférence propose un survol de l'histoire géologique de La Gombe depuis -375 Ma à nos jours, en la situant dans un cadre plus vaste, celui de la tectonique des plaques ou dérive des continents; mais il s'agit ici de (plusieurs) épisodes relatifs à la tectonique des plaques survenus a des époques géologiques antérieures à celle d'aujourd'hui et que médiatise régulièrement le "petit écran" quand on veut expliquer, par exemple, les endroits et surtout le pourquoi des grands tremblements de terre ou des éruptions volcaniques majeures. L'histoire d'une seule carrière comme celle de La Gombe appartient à une histoire régionale et même planétaire en "zoomant" les résultats des processus géologiques à différentes époques ou âges géologiques et à différentes échelles.

Les roches "gréseuses" extraites de la carrière de La Gombe appartiennent à l'étage Famennien, plus précisément à la partie supérieure de l'étage; elles sont datées par diverses méthodes de -360 à -350 Ma. La carrière de La Gombe-Montfort fait partie d'une série de carrières situées en Wallonie le long des principales vallées (Ourthe, Hoyoux. Bocq, Meuse). Des couches de "grès", de composition analogue et aux propriétés géotechniques ou à intérêt économique égal à ceux de La Gombe, furent intensivement exploitées dès la moitié du siècle dernier; les roches extraites furent et sont encore, mais à une échelle réduite, destinées à la fabrication de pavés (des rues entières de Liège en sont garnies), à la construction des murs bas extérieurs des habitations ou encore sous forme de concassés pour l'empierrement des routes.

L'étage Famennien comprend en Belgique, de part et d'autre du sillon Sambre-Meuse jusqu'aux portes des Ardennes, deux parties stratigraphiques distinctes; la partie inférieure (Famennien inférieur) est composée de "schistes" et correspond aux Schistes de la Famenne. Le Famennien supérieur est connu internationalement sous l'appellation des "Psammites du Condroz". Les "Psammites du Condroz" se subdivisent eux-mêmes en une série de formations; certaines furent définies dès 1876 par Mourlon, géologue du Service géologique de Bruxelles. Il est amusant de relever que la plupart des noms de ces formations sont empruntés à des localités de la vallée de l'Ourthe même. Dans l'ordre stratigraphique ascendant, c'est-à-dire de la base au sommet, le Famennien supérieur comprend ainsi les Formations d'Esneux, de Souverain-Pré, de Montfort-Comblain-la-Tour, d'Evieux-Beverire, de Comblain-au-Pont.

Certaines formations à leur tour par des subdivisions en membres: Membres de Rivage, de La Gombe et de Barse (Formation de Montfort); de Royseux, de Fontin et de Crupet(Formation d'Evieux) (Thorez, 1974). La puissance moyenne, ou épaisseur, de l'étage Famennien en Belgique est d'environ 600 m. Les séries famenniennes affleurent toutes au sud d'un vieux massif, le Massif de Brabant-Londres, s'étendant un peu au nord du sillon Sambre-et-Meuse; au sud de cette structure, le Famennien, encadré par d'autres étages, affleure dans des structures tectoniques de grande ampleur et en forme de bassins plissés dénommés les synclinoria de Namur, de Dinant et de la Vesdre. La région de l'Ourthe nord qui nous intéresse est située au bord nord-oriental du Synclinorium de Dinant.

Les roches famenniennes affleurent ainsi dans les vallées recoupant les structures tectoniques et sont surtout localisées sur le flanc des vallées. Une quarantaine de carrières furent implantées le long de l'Ourthe et de l'Amblève; elles étaient encore toutes en activité dans les années '60 à '70. Les roches du Famennien affleurent mal sur les plateaux environnants mais y sont recoupées par des sondages profonds là où l'étage n'affleure pas. Les couches sédimentaires du Famennien et par ailleurs d'autres étages ne sont pas demeurées horizontales mais elles ont été plissées voire faillées. Le plissement (appelé varisque) responsable du développement des plis en forme de "bosses" (anticlinaux) et de dépressions (synclinaux) est intervenu bien après la formation des sédiments famenniens de La Gombe; il s'est, en effet, développé progressivement il y a -300 Ma c'est-à-dire il y a une bonne cinquantaine de millions d'années après la fin de la phase d'accumulation.

Les effets du plissement varisque sur les roches du Famennien se traduisent notamment à La Gombe par le "plongement" général vers le Nord (direction d'Esneux) des couchescomme celles qui affleurent au-dessus du niveau du "lac" de La Gombe. Les mêmes séries de roches "plongent" (sont pentées) vers le Sud à Chanxhe; entre ces deux sites, plus précisément à Richopré, les couches sont subhorizontales. Ces caractéristiques géométriques indiquent que les couches impliquées dessinent un vaste anticlinal dont le coeur a été creusé par et lors de l'encaissement de l'Ourthe sur le trajet Poulseur-La Gombe-Richopré.

L'analyse au microscope de la composition (= lithologie) des roches famenniennes dans les carrières de la région de l'Ourthe et à La Gombe même fait apparaître, dans le détail, une certaine diversité: ce sont des "grès" fins (à granulométrie comprise en moyenne entre 60 et 120 microns, soit entre 0,060 à 0,120 mm) qui correspondent à des roches particulières appelées (micro)arkoses en raison du contenu élevé - de 18 à 55%- en feldspaths (silicates de sodium et de potassium) en grains étonnamment frais. Aux grains de quartz (silice) et de feldspaths s'ajoutent de très fines paillettes de mica; dans le cas de "bancs rouges" (par exemple, sur le dernier pallier de La Gombe), des oxydes de fer enrobent les grains et sont responsables de la coloration rouge-mauve des couches. Les bancs pluridécimétriques à métriques d'arkose sont régulièrement interrompus ou sont interstratifiés selon la verticale par des couches, d'épaisseur moindre, de composition minéralogique différente: calcaires ou dolomies,( ces dernières ayant la composition d'un carbonate double de calcium et de magnésium); argileuse (argilites); ou encore roches mixtes (les grains détritiques de quartz et de feldspaths sont cimentés par un matériau calcareux ou dolomitique).Certaines couches calcaires contiennent des (micro)fossiles marins (crinoïdes ou lys de mer; brachiopodes -espèce de "coquilles marines"-; algues, etc) tandis que les roches argileuses sont enrichies en spores (= pollen de l'époque) d'origine continentale ou de plaine côtière; le contenu en spores peut varier selon les conditions de la sédimentation et les paysages qui en découlent: de 4000 jusqu'à 140.000 spores par gramme de sédiment. Ces microfossiles permettent d'établir une biostratigraphie fine des Psammites du Condroz.

Les couches sédimentaires, surtout gréseuses, présentent sur leur épaisseur ou à leur surface diverses figures ou structures sédimentaires caractéristiques: par exemple, des laminationsinternes, fines, régulièrement espacées, horizontales ou ondulées (en forme de petites vagues) ou encore des stratifications obliques; ces laminations sont soulignés par des concentrations millimétriques de paillettes de mica. On retrouve aussi, en coupe d'anciens chenaux ainsi que desrides sableuses (mégarides) sous-marines métriques (telles celles que l'on observe, par exemple, en Mer du Nord jusqu'à des profondeurs de l'ordre de vingt mètres et dont la présence gêne la navigation). Des plans de dépôt (plans de stratification) des couches gréseuses et dolomitiques sont épisodiquement garnis par de la paille hachée flottée; des couches sableuses emprisonnent même des troncs d'arbres. Divers types de rides de courant (comme celles qui sont visibles sur les plages de la côte belge à marée basse) indiquent l'action d'un transport des grains détritiques par des vagues ou par les marées. Certaines surfaces de dolomie portent des fissures de dessication en réseau hexagonal plus ou moins régulier engendrées lors d'émersions temporaires interrompant les accumulations sédimentaires. La surface de couches argileuses ou plus ou moins gréseuses portent également des pistes de reptation (quelques millimètres d'épaisseur) attribuées à des organismes à corps mous non identifiables, tandis que les laminations internes peuvent être plus ou moins effacées par l'activité d'organismes fouisseurs qui ont laissé la trace de leur passage par des terriers verticaux ou en forme de U.

L'ensemble de ces structures sédimentaires indiquent clairement que la sédimentation de sables fins, des silts et des argiles s'opérait en milieu marin ou côtier proche du rivage, à faible profondeur d'eau, dans un cadre paléogéographique (paysage) impliquant l'existence de barrières sableuses. Ces dernières, face à la mer ouverte, y étaient soumises à l'action combinée des marées, des vagues et même de tempêtes (celles-ci sont indiquées par des structures caractéristiques en forme de mamelon concentrant, en désordre, des coquilles entières ou brisées). D'autres structures, en forme de "boules" pluridécimétriques à métriques sont localisées dans certaines couches gréseuses; de telles structures sont appelées des "pseudo-nodules" et elles sont la trace, fossilisée dans le sédiment encore mou et gorgé d'eau de l'époque, du passage d'ondes sismiques (tremblements de terre). On identifie une douzaine de niveaux de pseudo-nodules dans le Famennien supérieur de la vallée de l'Ourthe, certains parmi ces niveaux s'étendaient jusqu'à la Meuse (Yvoir et Arbre). Ces "pseudo-nodules" jouent un rôle important de "portée de musique" ou de repères, à côté d'autres critères, pour établir les corrélations entre les carrières de la vallée de l'Ourthe en dépit de changements de composition et donc de milieux des dépôts. Les changements verticaux et latéraux de milieux se traduisent, par exemple, par une concentration de couches de dolomie au nord de et à La Gombe, par l'apparition de couches calcaires à partir de Rivage jusqu'à Comblain-la-Tour. La partie inférieure de la carrière de La Gombe qui est aujourd'hui partiellement camouflée par le "lac" contient surtout des bancs épais de grès dont les caractéristiques géométriques latérales se rattachent à des barrières sableuses, tandis que le pallier supérieur de la même carrière contient des sédiments mis en place en milieu d'arrière-barrière, lagunaire (dolomie) avec influence fluviatile (bancs rouges, paléosols).

A l'arrière du complexe barrière de la Gombe s'étendaient jusqu'à Esneux de vastes lagunes de très faible profondeur d'eau soumises épisodiquement à l'action des courants de marées; dans de telles lagunes, grâce au climat chaud sub-aride à aride de l'époque, l'évaporation de l'eau sursalée atteignant 29°C favorisa la précipitation de dolomies et de sulfates (gypse,anhydrite); on retrouve là les conditions d'assèchement de marais salins ou de lagunes naturelles comme sur la côte orientale de l'Arabie saoudite. Sur les surfaces temporairement émergées de l'arrière-pays proche, au nord de La Gombe, des fleuves à tresses étaient alimentés épisodiquement en eau de pluie; sur leurs berges ou levées se développaient des sols fluviatiles rouges immatures et, par intermittence, des sols à encroûtement carbonaté voire même des vertisols (analogues aux sols noirs porteurs des cultures de coton aujourd'hui); les témoins de ces paléosols sont d'anciens conduits racinaires et unedéstratification (effacement des laminations). La présence de ces divers sols implique, à l'instar de la nature actuelle, l'occurrence d'épisodes ou de périodes climatiques plus humides que le climat subaride général du Famennien; ces périodes plus humides caractérisent un climat méditerranéen à longues saisons sèches et à courtes saisons des pluies. Les courtes périodes pluvieuses, propices à la croissance des arbres (Flore d'Evieux, célèbre au plan international),permettaient l'alimentation en eau des fleuves et partant le transport en suspension de sables fins et d'argile. La flore famennienne consistait surtout en de petits "arbustes" de quelques décimètres de hauteur implantés dans les sols argilo-sableux des lévées des rivières ainsi qu'en bordure immédiate des lagunes ou même sur la surface des lagunes asséchées; il s'agissait essentiellement de plantes ayant "la tête au soleil mais les pieds (racines courtes) implantées dans l'eau même salée"; d'autres arbres, de plus grande taille (jusqu'à 5 m de longueur, tels fossilisés dans les grès famenniens de la région de Remouchamp), poussaient le long des berges des fleuves mais plus en amont par rapport à la zone côtière de La Gombe; leurs troncs morts décharnés de toutes branches et feuilles étaient entraînés vers le large par les fleuves et les estuaires (La Gombe) débouchant à la mer ouverte; ils venaient ensuite s'échouer le long du rivage, après y avoir été poussés par des courants côtiers et par les marées (Comblain-au-Pont).

Les couches de "grès" micacé, d'argile grise à verte, de dolomies et de calcaires se sontédifiées verticalement, à travers le temps, selon un mode rythmé répétitif impliquant une cyclicité des dépôts conduisant à des empilements d'une épaisseur de 5 à 8 m en moyenne.La répétition dans le temps et l'espace de tels rythmes des dépôts fut favorisée grâce à un équilibre réalisé constamment entre un fond du bassin marin à côtier en affaissement continu (subsident), les apports réguliers sableux édifiant les barrières, et surtout les fluctuations du niveau marin. De telles fluctuations correspondaient à des alternances de périodes de transgression -avancée de la mer sur le continent- et à de régression -recul de la côte vers la mer ouverte. L'équilibre subtil entre ces paramètres de la sédimentation côtière a maintenu de (très) faibles profondeurs d'eau (moins de -50 m à +l m) tout au long de la sédimentation des Psammites du Condroz malgré un empilement, comme à La Gombe, de plus de 90 m de couches sédimentaires.

Les corrélations entre ces rythmes ou cycles à travers les Psammites du Condroz de la vallée de l'Ourthe (entre Esneux et Comblain-la-Tour, dans l'exemple traîté au cours de la conférence) sont établies de proche en proche, de carrière à carrière, en s'aidant d'une "portée de musique" associant bancs repères (bancs rouges, paléosols, niveaux à "pseudo-nodules", mégarides, marqueurs et zones micropaléontologiques de microfossiles végétaux et animaux). Plusieurs ordres de cyles emboîtés sont identifiables .Ces cycles, qui matérialisent les fluctuations du niveau marin, ont des durées de 400.000, 100.000 et 20.000 ans; en d'autres termes, ils correspondent à des cycles climatiques (de Milankovitch) analogues à ceux, bien mis enévidence désormais pour le Quaternaire c'est-à-dire pour les derniers deux millions d'années; ce sont de tels cycles climatiques qui ont contrôlé les glaciations quaternaires en entraînant, lors des périodes glaciaires, une baisse générale du niveau marin de plus de 140 m par rapport au niveau actuel. Aux temps famenniens, il existait probablement une calotte glaciaire centrée sur le Brésil (Parana), dont les effets se sont fait sentir jusqu'en Europe. Mais c'est surtout le relèvement d'un vaste continent, le Vieux Continent Rouge (ou Old Red Sandstone) situé au nord de la Belgique et s'étendant jusqu'à la Scandinavie, qui a alimenté vers le Sud les bassins en y amenant des sédiments sableux et argileux (sédiments détritiques) et en abaissant par subidence le fond des bassins en bordure de la mer de l'époque, sur la plate-forme continentale. A ceci s'ajoutent les effets de la tectonique des plaquesdéjà active à l'époque dont l'action contribuait à faire descendre d'avantage le fond du bassin sédimentaire déjà aux époques antérieures, ensuite contemporaines et enfin postérieures à l'accumulation des Psammites du Condroz.

A l'époque des Psammites du Condroz, la mer ouverte se trouvait en effet au sud de la Belgique donc au large et au sud de la région de La Gombe. La ligne de côte ou rivage se prolongeait jusqu'à Royseux (vallée du Hoyoux) et Arbre (Namur). Les sédiments sableux et argileux famenniens qui forment les Psammites du Condroz étaient amenés sur la plate-forme condruzienne, par des courants côtiers dérivant eux-mêmes d'une région située en Allemagne (Krefeld). Dans cette région-source ils étaient libérés par altération physique "érosive" (par les vents, en climat aride) de massifs en voie d'élévation tectonique sous forme de horst; une fois libérés, brisés en plus petites particules par le transport éolien, les sédiments venaient alimenter des sortes d'oueds qui rejoignaient à leur tour la mer et y vidangeaient leur charge de sédiments fins. L'hypothèse d'une source allemande des sédiments famenniens repose sur la finesse et le très bon classement des grains ainsi que sur la fraîcheur des feldspaths et l'abondance des micas et, enfin, par la "signature" géochimique de roches métamorphiques-mères (gneiss). Arrivés au bord de la mer via les oueds, les sédiments étaient entraînés par les courants côtiers en direction Sud-ouest et parvenaient sur la plate-forme du Condroz; ils s'y s'accumulèrent d'abord en milieu franchement marin (époques Esneux et Souverain-Pré) ensuite en milieu côtier et barrières à lagunes (époque Montfort); enfin, les dépôts rythmés acquirent un caractère fluviatile (époque Evieux). Cette succession verticale et latérale des milieux de sédimentation à caractère de plus en plus continental est attribuable à une régression générale (cf. régression famennienne connue dans le monde entier). Les caractéristiques des Psammites du Condroz, avec leurs paysages côtiers soumis à l'activité des vagues, marées et tempêtes, avec leurs lagunes et leurs fleuves intermittents à tresses,définissent globalement un large delta qui se développait (progradait) le long de la côte en direction du Sud-ouest (Gendron-Celles-Givet). La régression famennienne fait suite elle-même à une transgression marine (au Frasnien) et précède une nouvelle transgression (aux Tournaisien et Viséen).

Le développement du delta famennien s'inscrit dans le cadre d'une tectonique des plaquescelle-là même qui préparait, à des époques remontant déjà à -400 Ma, la constitution d'unsupercontinent, la Pangée; ce rapprochement s'accompagnait de la fermeture d'un océan étroit(500 Km de large) séparant alors l'Europe de l'Afrique (Gondwana); c'est cet océan qui bordait le sud la Belgique et donc le site de La Gombe. La collision et la soudure entre les masses continentales amenèrent également la constitution de chaînes de montagnes.

On a coutume de considérer que la dérive des continents telle abondamment médiatisée à la télévision à l'occasion de tremblements de terre ou d'éruptions volcaniques paroxysmales ne débuta seulement que voici -220 Ma, suite à la désagrégation de la Pangée. Mais avant la dernière Pangée, il y eut déjà plusieurs dispersions et rapprochements de masses continentales. On peut aujourd'hui en reconstituer de manière assez détaillée et réaliste le ballet des continents de l'époque, en remontant jusqu'à -600 Ma. Au Précambrien (-470 à -500 Ma), parmi ces "continents" en migration lente durant des millions d'années se trouvait un petit continent (Baltica) lequel supportait en sa bordure la Belgique et donc la région de la Gombe; Il y a -400 Ma, Baltica se trouvait au pôle Sud! Baltica, en s'associant progressivement à d'autres plaques continentales, migra depuis le pôle Sud jusqu'à la latitude actuelle de la Belgique. A l'époque du Famennien, Baltica se trouvait à la latitude de 15°-20° lat. Sud, près de l'Equateur de l'époque. Cette situation paléogéographique explique ainsi le climat aride à subaride (proche du Sahel actuel) ayant régné au cours du Famennien supérieur, quand les Psammites du Condroz, que des lagunes se développaient et que l'évaporation de l'eau sursalée de ces lagunes conduisait à la précipation de dolomie et de sulfates de calcium (gypse, anhydrite) (un millimètre de dolomie par lOO ans probablement).

Le rapprochement et la collision finale des masses continentales entre, au sud, le Gondwana(qui comprenait l'Afrique, l'Amérique du Sud, I'lnde, l'Antarctique et l'Australie) et, au nord, la Laurussia (avec Baltica, Avalonia et Laurentia -cette dernière correspondant à l'Amérique du Nord-Groenland-) et la fermeture de l'océan intermédiaire (la Téthys ou proto-méditerranée) ont provoqué le développement de chaînes de montagnes (dénommées varisques ou hercyniennes); ces chaînes montagneuses s'étendaient depuis les Appalaches (Etats-Unis) jusqu'à la Scandinavie en léchant le sud de la Belgique (Ardenne): il y eut ainsi par deux fois une chaîne montagneuse de 2 à 3000 m de hauteur à l'emplacement de nos Ardennes, mais ces chaînes sont disparue par érosion! La pénéplaine résultante atteint aujourd'hui 500 à 700 m de hauteur par rapport au niveau marin actuel.

Une fois la constitution de la Pangée achevée débutèrent alors les premières phases de sa désagrégation dont il résulte, depuis -200 Ma, l'actuelle dérive des continents. En ce qui concerne directement l'Europe, l'ouverture -un peu à la manière d'une fermeture-éclair que l'on ouvre- de l'océan Atlantique et la séparation de l'Europe d'avec l'Amérique du Nord et le Groenland, ouvraient la voie à des invasions marines; de telles invasions affectèrent le nord et l'est de la Belgique et atteignirent la région de la Gombe. Cette phase d'ouverture de l'Atlantique entraîna une série de transgressions et de régressions marines remontant jusqu'à -130 Ma; ensuite se mit en place de manière définitive, une phase de "continentalisation" de la Belgique, il y a -20 Ma. A l'aide d'une série de schémas, on peut reconstituer les étapes paléogéographiques et paléoclimatiques de la région de La Gombe à différentes époques géologiques, depuis -350 Ma jusqu'à nos Jours.

La notion du "temps" en géologie est quelque chose de difficilement perceptible à l'échelle humaine car la plupart des phénomènes géologiques, qui sont par essence dynamiques, se déroulent pendant des durées en temps s'étalant depuis le millier d'années jusqu'à plusieurs centaines de millions d'années. Mais le passage continu du temps tel fossilisé dans les roches sédimentaires n'y est inscrit, en, fait, que d'une manière discontinue, saccadée, avec nombre de "vides". Beaucoup d'événements géologiques ont été effacés ou n'ont été conservés que d'une manière tronquée: les archives sédimentaires qui parviennent ainsi du passé géologique ont parfois été plus ou moins profondément modifiées après la mise en place des sédiments. Ces derniers, à l'étatmeuble au moment de leur accumulation, ont été notamment transformées en roches dures aucours de leur enfouissement dans la croûte terrestre et lors de plissements intervenus plus tard.

La "chronique de La Gombe" telle proposée ici est comparable à un livre, dont certaines pages sont demeurées intactes alors que d'autres ont été déchirées, ou des pagesentières ont été effacées et même des chapitres arrachés. Néanmoins, par les techniques d'étude que propose la géologie, il est possible de reconstituer même des pages manquantes et de recomposer au mieux le livre en son entier. C'est ainsi que l'on peut brosser les événements les plus marquants qui ont intéressé la région de La Gombe et les régions limitrophes depuis -375 Ma comme le propose la seconde partie de la conférence, en esquissant ici les caractéristiques des étages, les latitudes traversées par la Belgique par son parcours en tectonique des plaques, et les conditions climatiques générales:

-375 Ma (position de la Belgique: 28° latitude Sud: Frasnien, récifs barrière de coraux, climat tropical sec, avec parfois des lagunes évaporitiques);

-365 Ma (20_ lat. Sud: Famennien supérieur; climat sub-aride à courtes saisons des pluies);

-355 Ma (18_ lat. Sud: Tournaisien et Viséen; constructions récifales et évaporites; effets temporaires d'une phase glaciaire; climat général subtropical semi-aride);

-305 Ma (0° = paléo-équateur: Westphalien; climat tropical humide favorisant le développement de forêts luxuriantes dont les végétaux morts engendrèrent, dans des marécages, les futures couches de charbon exploitées en Belgique, notamment en pays liégeois);

-245 Ma (18° lat. Nord: Permien; climat chaud avec quelques périodes pluvieuses saisonnières;

-200 Ma (37° lat. Nord: Jurassique; climat subtropical chaud, avec des températures de 18-25°C);

-75 à 70 Ma (40° lat. Nord: Crétacé, époque des craies et des dinosaures; climat chaud et sec);

-35 Ma (45° lat. Nord: Oligocène; climat moyen sec);

-15 Ma (46° lat. Nord: Miocène; climat tempéré à chaud (16-18°C) avec une pluviosité de plus de 1.000 mm/an);

-250.000 ans (50° lat Nord: établissement du réseau hydrographique actuel, dont celui de l'Ourthe, sous des conditions climatiques analogues à l'actuel; périodes glaciaires et interglaciaires du Quaternaire).

Dans la vallée de l'Ourthe, entre Esneux et Comblain-la-Tour, par-dessus les Psammites du Condroz formant en général le coeur des anticlinaux, il existe dans les synclinaux des roches calcaires du Tournaisien et du Viséen, encore exploitées localement. Mais on ne trouve plus de traces des roches du Houiller (Namurien-Westphalien) qui furent éliminés par érosion (pénéplanation). Les sédiments houillers venaient du Sud-est de la Belgique.

La formation de la pénéplaine a décapité les structures anticlinales et synclinales en développant une surface plus ou moins horizontale. Cette dernière a, en principe, dû accueillir des sédiments datant du Mésozoïque (Crétacé) et du Cénozoïque (Tertiaire): on en a indirectement la preuve par l'occurrence, par exemple, dans des argiles de décalcification des craies, de rognons de silex plus ou moins altérés. Des karsts se sont développés dans les roches du Tournaisien et du Viséen et ont piégé des sables et des argiles (Comblain-au-Pont) accumulés à l'occasion detransgressions et régressions du Tertiaire venues du nord et nord-ouest de la Belgique; certaines couches de sable ont d'ailleurs conservé des terriers de "crabes", attestant par là une "ambiance" marine (apport des sédiments par des courants marins et des marées, comme pour les Sables de Boncelles). La pénéplaine "fabriquée" après le plissement varisque et les érosions du Mésozoïque et du Cénozoïque (dont on ne retrouve que quelques témoins), fut finalement scellée par une couverture de loess (limons éoliens datant du Quaternaire) et, par endroits, par des dépôts de terrasses fluviatiles, avant que l'Ourthe et l'Amblève ne s'encaissent et forment leurs vallées actuelles.

Le creusement et l'encaissement des vallées de l'Ourthe et de l'Amblève ont favorisé la mise à l'affleurement ensuite l'extraction des Psammites du Condroz (principalement des Formations de Montfort et d'Evieux): c'est ainsi qu'est née la carrière de la Gombe, en bordure de l'Ourthe; sa situation topographique idéale a facilité les opérations extractives jusque dans les années '70. Après l'abandon de la carrière, l'arrêt des pompages provoqua la remontée de la nappe d'eau et la formation d'un "lac". Aujourd'hui, les membres du C.L.A.S. peuvent s'y adonner à leur sport favori.

Si les membres du C.L.A.S. peuvent ainsi plonger dans la carrière de la Gombe, les géologues peuvent y "plonger dans le passé" de la carrière en en restituant l'histoire depuis la formation des roches gréseuses du Famennien jusqu'à nos jours. La chronique de La Gombe n'est pas une simple histoire géologique; elle est faite de moments-clés que les paysage ancien et actuel permettent de reconstituer par chapitres, bien que certains chapitres ou pages aient été effacés! Compter l'histoire multifacette et multi-échelle des "grès" de la carrière de La Gombe, sur une période de 10 Ma, exige une interdisciplinarité de différentes sciences de la Terre: minéralogie et géochimie, sédimentologie, stratigraphie, micropaléontologie, paléoécologie, pédologie, paléogéographie, paléoclimatologie, paléoocéanologie, tectonique des plaques ancienne et actuelle et tectonique générale. Sans ces résultats, il eut été difficile de raconter la saga des Psammites du Condroz en leur ensemble à La Gombe en particulier en passant de la nervure d'une feuille jusqu'à la forêt"!